Souvenirs de Sidi Bel Abbès
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Roger Picon
Histoire d'Antoine Martinez, 15
obscur "poilu" mort pour la France
Sidi-bel-Abbès, 26 juillet 1892
Wischaëte (Belgique), 6 novembre 1914

...pendant ces années-là. Quand on voit les fautes commises par des étudiants bardés de diplômes qui sortent de nos universités, on peut et on doit être compréhensif. Il écrivait à la hâte dans des conditions précaires, au crayon, sans avoir le temps ni l'opportunité d se relire, complètement ereinté davoir porté sur son dos, lui qui ne mesurait qu'un mètre cinquante trois et de gabarit plutôt étriqué, un chargement démentiel.
Voici le texte de la lettre qui était revenue sans réponse – et pour cause – et qui marquera le début d’une traque hallucinée jusqu’à la fin des hostilités et même au-delà, vers un fol espoir de le voir vivant.

Bel-Abbès le 3 Xbre 1914 -
Cher enfant;
Voila que ta dernière lettre été datée du 27 Octobre dernier, depuis pas de nouvelles et voilà encore que ta mère ne fait que pleurer nuit et jour. C’est étonnant qu’on ne reçoit pas de nouvelles bonnes ou mauvaises. C’est un martyr pour nous, nous nous faisons de très mauvais sang. Je te jure que cette lettre la providence veut qu’elle arrive à ta destinée, que tu nous réponde rien qu’un simple mot si tu es au monde, ça nous suffit, il ne faut que tu nous dise d’avantage nous voulons savoir seulement que ça, si tu es au monde pas plus le reste nous le savons tout ce qui se passe. Mille baisers de tous.
Ton père. Ant. Martinez
 
La disparition de mon oncle a marqué de façon indélébile notre conscience collective. Sans vouloir brandir à tout propos et hors de propos cette mort comme la justification ou l’excuse des faits et gestes à mettre au crédit ou au débit de nos compatriotes dans les évènements qui ont précédé notre départ d’Algérie, Ce sacrifice scelle de façon irréversible notre appartenance à la Nation Française pour le meilleur ou pour le pire.
Ajoutons que ce sacrifice n’a pas été isolé au sein même de notre famille. Je l’ai relaté plus haut et j’y reviendrai dans la chronique relative à mon père : lors de cette guerre, le mari de notre Tante JOSEPHINE , Luis Andres CERDAN a lui aussi perdu la vie des suites de ses blessures, en 1915. Il est enterré à CHARTRES. Plus tard, au cours de la guerre de 1939 à 1945 où tous les européens sans exception, en âge de participer à la reprise des hostilités après le débarquement des américains en 1942, ont été mobilisés, François PICON, le fils du cousin avec lequel il avait « fait » pendant trois ans son service militaire, est mort lui aussi, sur la frontière tunisienne, en Janvier 1943, à peine âgé de 21 ans.
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Lettre des parents d'Antoine Martinez