Souvenirs de Sidi-bel-Abbes
Georges Winum : en route en 1CV. page 2/3
J’ai droit à un dernier clin d’œil complice sous sa casquette réajustée ; ses traits sont marqués, sa peau tannée par le soleil est piquetée d’une barbe naissante, sa main calleuse s’en va flatter la croupe devant lui ; à petits coups répétés il fait claquer sa langue contre son palais en signe d’encouragement ; ll pense déjà au moment où il lui faudra garer le chariot, dételer la bête, la débarrasser de son harnachement, l’envoyer à l’abreuvoir, aménager sa place dans l’écurie, garnir sa mangeoire, avant de l’étriller à l’aide de paille fraîche. La ferme est enfin là ; un grand espace s’étend devant les bâtiments, ceinturé par de larges murs faits d’amas de pierres de tuf extraites des champs alentour au fil des labours, empilées là, tout autour, témoins de l’harassant labeur des hommes. J’ai juste le temps de voir les grandes meules de paille recouvertes de boue séchée, de reconnaître le corps de ferme vétuste abritant les habitations des familles, le hangar des matériels, l’écurie et son abreuvoir ; deux gamins de mon âge viennent de surgir de derrière le muret fermant la cour de leur logement ; ils déboulent vers nous, de toute la vitesse de leurs petites jambes, le plus âgé a déjà pris appui sur le marche pied, il arbore une face hilare sous sa chéchia rouge,
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le plus jeune est resté planté sur l’esplanade les deux mains dans le dos, il hurle sa déconvenue, reniflant et lapant sa morve dégoulinante ; mes compagnons de jeux sont au rendez-vous. Tout à l’heure ils iront le long du chemin de terre, courant par jeu à perdre haleine, jusqu’à enfin prendre une pause : s’arrêter sur le bord du chemin, s’asseoir dans cette poussière, si fine presque blanche, qui talque leurs fesses, près du ruisseau aux eaux claires où pousse le cresson qui peut être cueilli à l’envie : il suffit d’entrer dans l’eau fraîche qui court rapide, frissonnante, bruissante, entre les pierres ; les espadrilles de corde et de toile serrent le pied une fois mouillées ; la poussière du chemin les aura vite fait sécher ; un peu plus loin, là où l’eau se fait de nouveau paresseuse, alanguie, plus profonde, sous les tamaris, au milieu des joncs qui envahissent par endroit, une poule d’eau a jailli ; surprise, elle fuit en faisant jaillir mille gouttelettes argentées qui s’éparpillent tout autour d’elle : sur l’eau vert sombre, de nouveau calme, à la surface étale, vont, viennent, les "araignées d’eau" en courtes glissades silencieuses sur leurs longues pattes, comme le patineur sur la glace ; la fin de journée est proche ; tourner la page