Souvenirs de Sidi-bel-Abbes
Georges Winum : en route en 1CV. page 3/3
il devine au loin le troupeau de moutons qui rentre à la ferme se pelotonner frileusement dans son enclos ; le sol martelé du piétinement répété de la multitude de bêtes rend un léger roulement de tambour qui se mêle aux nombreux bêlements : en tête, les béliers arrogants, aux cornes torsadées et comme finement ciselées ; tout autour, la masse anonyme tête baissée, engoncée dans l’arrière train qui précède ; à la traîne, au milieu du chemin parsemé de centaines de petites crottes, billes noires, un jeune agneau bêle son désespoir et sa fatigue ; sa mère alertée, arrêtée, le cou tendu vers lui, l’exhorte à l’effort en de longs bêlements ; il finira dans les bras du berger ; une âcre odeur de suint s’est répandue sur le passage ; dans l’enclos l’odeur est encore plus forte, les épaisses toisons de laine, piquetées de fétus de paille ou de débris de branchage du chemin, se frottent les unes aux autres amortissant les bousculades. A l’écart, tonton Domingo lui fait signe de la tête d’approcher ; sous la casquette, les yeux sont rieurs ; il enserre de ses bras une brebis que deux jeunes
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agneaux, à la queue frétillante, fébriles et avides, martyrisent à grands coups de tête dans les mamelles. La brebis de tonton Domingo a eu cette année deux agneaux, c’est l’assurance de disposer de quelques moyens supplémentaires ; le patron, "el amo", leur accorde ce privilège, comme pour le cochon, la volaille ou le jardin potager ; il suffit de pourvoir par moment à l’approvisionnement du patron : quand vient ce temps tonton Domingo recommande toujours de choisir les plus beaux légumes, les plus jolis fruits, et insiste pour que les plus belles volailles, soigneusement palpées, soupesées, soient plumées, vidées, prêtes à être enfournées. Il ne comprend pas pourquoi sa tata et son tonton acceptent de se démunir aussi généreusement. C’est maintenant tata Françoise qui l’entoure de ses bras, de sa chaude affection, qui le pousse vers le coin du feu ; demain, près d’elle, quand sera venu le temps d’alimenter la basse-cour, il la suivra pas à pas, jusque dans le poulailler, là où les poules pondent dans les niches aménagées dans les murs.
C’est le début des vacances