Michèle Garcia-Kilian : mon enfance au soleil, Le patio de mon Grand-Père
Souvenirs de Sidi-bel-Abbes
Les abeilles devant l’assaut viraient, virevoltaient, et revenaient, s’approchant quelquefois si près de nous, que la panique nous prenant, nous renversions le banc dans nos mouvements de fuite. Alors le bruit de la chute faisait sortir en catastrophe, ma tante, qui nous sermonnait doublement : pour avoir réveillé les adultes endormis, et pour avoir massacré le raisin. Quand le banc ne tombait pas, ma tante savait détecter le moindre grain de raisin écrasé oublié sur les lieux du méfait. Et le traitre révélant notre délit, le sermon était presque toujours la suite logique de nos assauts sur les fruits blonds.
Quelquefois, c’était le laboratoire de mon oncle qui faisait l’objet d’une visite pendant la sieste. Son prénom angélique, Séraphin, et sa grande bonté, en faisaient l’oncle préféré des neveux. Sa profession, autant que sa gentillesse, était pour nous un critère d’attachement ; il était pâtissier, et toute une partie du patio donnait sur le four. Grâce à notre tonton ‘’dulce’’ (doux), le patio se nourrissait de la bonne odeur des ‘’ monas’’, du chocolat fondu, des croissants chauds, ou du nougat des pièces montées.
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Les adultes s’allongeaient sur le lit dans la chambre aux volets clos, où flottaient les odeurs de ‘’fly-tox’’, et se laissaient engourdir par le sommeil bref mais profond de la mi-journée. Nous les enfants, nous promettions le silence et la sagesse, et nous jurions de rester calmes sous la couverture que ma tante posait sur le carrelage de la cuisine, à la fraîcheur. Mais dès qu’un ronflement significatif nous donnait la certitude de l’endormissement des adultes, à pas de loup, et armés de manches à balai, nous partions à l’attaque de la treille, dont la seule défense était sa hauteur inaccessible à nos petites tailles, et l’armée d’abeilles qui s’abreuvait sous ses ombrages. Les manches à balai ne suffisant pas, nous nous transportions en silence sous les plus grosses grappes, un des nombreux petits bancs en bois que notre grand-père nous fabriquait. Et alors, nous pouvions saccager à loisir, avec toute l’inconscience de notre âge, la treille prospère, qui laissait tout au plus tomber quelques grains écrasés, mais dont les grappes solidement ancrées aux branches chenues, ne cédaient pas.