Michèle Garcia-Kilian : mon enfance au soleil, Le patio de mon Grand-Père
Souvenirs de Sidi-bel-Abbes
Et quand mon oncle recomptait les gâteaux mis de côté sur les plaques pour les quelques commandes, il savait qu’il devait en rajouter, car nos petites mains lestes et efficaces en avait subtilisé une partie, et nos petits estomacs s’étaient confortablement rassasiés. Mais dans sa grande bonté, il ne disait rien : nous étions de connivence. L’appartement de mon oncle et de ma tante, sœur de ma mère, dont le prénom ‘’Madeleine’’, évocateur de gâteau, l’avait dès la naissance prédisposée à son union heureuse avec son petit pâtissier, s’étirait sous la treille, dans la partie gauche du patio, celui de mes grands-parents, tout au fond, sous la véranda. A droite, c’était le four. J’adorais actionner la pompe à levier installée dans un coin de la cour, réserve d’eau fraîche, sous laquelle nous lavions le linge dans les grandes bassines en zinc. Point de machine alors ! La planche à laver, la brosse de chiendent et le savon de Marseille avaient raison de la saleté. Quelquefois l’eau de pluie rare mais providentielle adoucissait les textiles au dernier rinçage. De ma grand-mère décédée quand j’avais dix ans, je garde un souvenir flou, comme hélas les images qui lui parvenaient. Aveugle et sourde très jeune, elle se déplaçait les deux mains en avant, et nous reconnaissait en tâtant notre corps.
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Délicieuse odeur des amandes grillées, broyées, emprisonnées dans le caramel roux, et prenant forme sous les doigts du Maître. C’était un magicien : le sucre fondant et bouillant se transformait sous ses mains, ignorantes de la chaleur, et armées d’un seul petit rouleau de cuivre, en immenses paniers de nougatine, accueillant des montagnes de choux truffés de crème. Au moment des communions, il était capable de façonner des cathédrales de deux mètres de haut dans la nougatine. Tout Bel-Abbès lui passait commande. Outre un kiosque qui lui appartenait devant le marché, il desservait tous les jours plusieurs alimentations, empilant les cageots de gâteaux dans sa petite fourgonnette. Il avait appris son métier dans la plus grande pâtisserie de la ville : la pâtisserie ‘’Savoureux’’, où il avait été premier ouvrier avant de s’installer à son compte. Le four était une tentation réelle, constante, et le moment de la sieste nous fournissait l’heure propice. Alors, poussant furtivement la porte de cet antre de la gourmandise, nous repérions d’un seul coup d’œil les grandes casseroles débordantes de chocolat fondu, ou les grandes bassines de crème, et nos doigts dans un mouvement de va et vient rapide du récipient à la bouche, nous restituaient concrètement ce que notre odorat avait décelé dans les bonnes senteurs qui avaient envahi la cour le matin.