L'hiver arriva vite, très dur là-bas avec beaucoup de pluie, de la neige et des températures allant jusqu'à -30°. Dehors nous pataugions dans la boue. Il y avait de nombreux malades ( diarrhées, froid, fatigue, malnutrition ) et pratiquement rien pour les soigner. Il en mourrait des dizaines par jour; une équipe de prisonniers était chargée de récupérer les corps et de les jeter dans une fosse avec de la chaux vive. Comme je chantais bien et qu'un camarade de détention, grand accordéoniste parisien, m'accompagnait, le chef de camp nous donna l'ordre de faire la messe avec un prêtre tous les dimanches matin; après nous allions rendre visite aux malades à l'infirmerie.
5ème partie: Retour vers la France
Nous étions heureux de chanter pour ces pauvres malheureux qui n'avaient plus aucun espoir de revoir le pays. Un jour de février 1941, je suis convoqué au bureau du chef de camp qui, à ma grande surprise ( et une joie intérieure sans bornes ), m'apprend que je retourne en France dès le lendemain avec les prisonniers Nord-Africains qui étaient rapatriés vers un climat plus tempéré, sûrement suite à une demande de la Croix-Rouge et un accord entre les pays belligérants. L'explication est simple: j'étais né en Algérie et donc considéré moi aussi comme Nord-Africain. C'est donc en 1941 que j'ai été « un rapatrié » pour la première fois. Rapatrié et très content de l'être.Le retour fut terrible; imaginez-vous passer environ 8 jours, entassés à 50 dans un wagon à bestiaux, avec un casse-croûte, une gourde d'eau et surtout, pas de toilettes. L'enfer avec la puanteur, la vermine, la faim, la fatigue. Pour éviter l'émeute, nous avons creusé avec un couteau un trou dans un coin du wagon car il ne fallait pas que les soldats allemands le découvrent.