Un homme, un vrai instituteur y fût affecté. Je pense qu'il n'était pas volontaire pour diriger ces nouveaux élèves. Il avait déjà enseigné dans le centre ville de Sidi-Bel-Abbès et sa préférence allait aux petites classes, mais nécessité faisant Loi, il n'avait pu je suppose refuser son affectation.
Le jour de la rentrée nous nous présentons à l'école et sommes doublement surpris: nous avons un maître d'école et non une maîtresse, de plus il est infirme et se déplace grâce à une jambe de bois "un pilon disions- nous à l'époque" et d'une béquille.
Il est jeune, de taille moyenne, le crâne légèrement dégarni, le front dégagé, ses yeux pétillent derrière ses lunettes, pour marcher il se déhanche à chaque pas. (Nous apprendrons par la suite qu'il a reçu en 39-40 une rafale de mitrailleuse qui a entraîné une amputation d'une jambe au dessus du genou). L'ensemble ne manque pas de bonhomie, nous le trouvons sympathique.
Si sa démarche est hésitante, son attitude, sa voix, son regard, ne le sont pas. Son autorité naturelle fait que nous entrons dans la salle en silence et en bon ordre, nous sentons au plus profond de nous que les très longues vacances sont révolues.
Après nous avoir fait remplir la fiche de renseignements d'usage, nous avons droit à une dictée et son questionnaire de grammaire et conjugaison, à une séance de lecture, on enchaîne par des opérations et un ou deux problèmes.
Le lendemain nous ne sommes pas étonnés d'apprendre que nous avons de grosses lacunes ,que nous sommes très en retard et qu'il va falloir cravacher au sens propre et au sens figuré pour progresser.
Les leçons devront être sues sur "le bout des doigts", les devoirs à la maison faits sans exception, l'attention en classe ne devra pas se relâcher, les bavardages sont interdits, l'absentéisme sera sévèrement réprimé. (Il s'est mis à notre portée il n'a pas parlé d'absentéisme mais "de faire carotte".)
S'ensuit un barème de sanctions. Entre autres:
Le bavard viendra s'agenouiller devant le pupitre sur un rondin de bois de chauffage, les mains dressées vers le ciel comme celles des prisonniers de guerre. Au bout de quelques minutes de ce régime, les genoux sont en feu et les bras en compote. Je le sais pour avoir été l'un des premiers à inaugurer la punition.