Souvenirs deSidi Bel Abbès
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Chaque jour, nos « Hollandaises » avaient droit tout de même, l’une après l’autre, à une courte promenade de quelques dizaines de mètres seulement, lorsque le maître vacher les conduisait à l’abreuvoir, un petit bassin, «  la pilica », situé tout contre le puits de leur patio.
Heureuses, elles savouraient cette unique sortie à l’air libre. Elles ne se hâtaient point, leur allure était nonchalante, leur pas se faisait un peu plus lourd .Le vacher avait beau leur caresser la croupe, avec son bâton, pour les faire avancer, elles prenaient tout leur temps. Elles regardaient à gauche puis à droite, s’arrêtaient parfois. Visiblement, elles jouaient la montre. 
Voulaient-elles ainsi emmagasiner dans leur tête le plus de clichés possibles pour les « ruminer » ensuite, en mémoire, entre les quatre
murs de leur triste pensionnat ? On peut se le demander.
Certains laitiers vendaient leur lait d’un patio à l’autre, en soirée. Ils portaient ce grand bidon cylindrique caractéristique en bandoulière, au moyen d’une longue ceinture en cuir.
Je me souviens que chaque jour en fin d’après-midi, Paco, c’était le prénom de l’un d’eux, frappait à la porte de la maison. D’assez petite taille, coiffé toujours du chapeau andalou, il entrait et, à l’aide d’une mesure qu’il portait accrochée au bidon, il nous versait le litre de lait quotidien que ma mère lui demandait.
Chacun d’eux portait la quantité de lait nécessaire pour servir ses clients. Quelquefois ma mère lui réclamait un litre supplémentaire ; elle avait projeté de faire un peu de pâtisserie ou de préparer un riz au lait que tout le monde appréciait chez nous. Souvent, il s’excusait alors de ne pouvoir nous satisfaire. «  No puedo Marí ! Llevo los litros justos ! » Disait-il à ma mère. «  Mañana se lo traeré ! » (J’ai juste le nombre de litres pour assurer la tournée. Je le prévoirai pour demain, si vous voulez !)
On assistait aussi au va- et- vient des gens qui remontaient la rue, en fin d’après-midi, le pot au lait à la main, et qui venaient récupérer le précieux liquide chez le vendeur même.C’était souvent des gamines et quelquefois aussi des adultes habitant les villas récentes construites, au début des années 50, au-delà du petit canal d’irrigation, en allant vers les Glacis.
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