Le sergent commandait demi-tour et s'assurait que les plis de la chemise dans le dos étaient réglementaires : trois plis verticaux. Puis il faisait signe à l'homme qu'il pouvait sortir, signe enregistré par l'adjudant de la grille. Nouveau garde-à-vous, devant l'adjudant, salut. Le permissionnaire rejoignait les copains qui l'attendaient.
Où qu'il soit et quelques soient les circonstances, le légionnaire en danger qui pousse l'appel fameux : "A moi la Légion ! " voit alors dans l'instant surgir tous les copains ayant entendu son cri ou alertés par d'autres. Cent fois et plus on a vu dans des rixes des voyous civils et militaires écrasés par des légionnaires plusieurs fois moins nombreux, mais fanatisés par l'esprtit de corps.
Cependant, les permissionnaires de la Légion ne déambulent pas en troupeau. De petits groupes de quatre à cinq hommes, voilà ce qu'on a toujours vu à Bel Abbès. Les civils de Bel Abbès, qui, dans une proportion importante, vivent de la Légion, n'ont jamais frayé avec les légionnaires. << Le légionnaire, a écrit Pierre Mac Orlan, se reconnaît à la correction de sa tenue et à son allure distante des contingences. >>
Les permissionnaires du Quartier Viénot gardaient cette allure distante jusqu'à l'instant où, délaissant charcuteries et pâtisseries, ils s'élançaient à l'assaut des bistrots. Beaucoup demeuraient même impavides un bon moment après qu'ils avaient commencé à boire.
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De puissants navires pourraient naviguer sur la quantité de vin rouge ingurgitée par les légionnaires dans les débits de Bel Abbès depuis 1843. Jadis, les taverniers espagnols remplissaient d'un brutal coup d'assomoir les verres épais. Certains offraient à boire, non au litre, mais à l'heure, assurés de prendre finalement un fort bénéfice sur le troupier endormi. La qualité s'est par la suite grandement améliorée, et la bière est apparue comme une concurrente redoutable. En septembre 1962, le rituel de la rentrée des permissionnaires au Quartier Viénot demeurait aussi inchangé que celui de la sortie. L'adjudant se tenait, non plus à la grille, mais à dix mètres à l'intérieur de la cour, dans la position du repos, les mains derrière le dos, le regard glacial fixé sur l'entrée. Des légionnaires franchissaient la porte, s'avançaient vers l'adjudant, saluaient, marchaient vers le quartier. Rien à raconter sur leur retour sans pittoresque.
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