Devant la grille, le caporal dès qu'il apercevait un galon, sifflait doucement pour avertir la sentinelle en grande tenue. La cour du Quartier Viénot demeurait ce qu'elle avait toujours été, un enfer des marques extérieures du respect, officiers et sous-officiers salués quatre cents fois par jour, talons claqués, garde-à-vous à dix pas, tout officier ou gradé rendant le salut.
Dans quelques semaines, on démonterait et on emporterait tout ce qu'il était possible de démonter et de transporter, y compris le fameux monument aux morts, globe terrestre orné d'or, socle en onyx, quatre figures monumentales aux angles, ensemble de neuf mètres sur sept, six mètres de haut, poids énorme encore non calculé, édifice qu'on descellerait, transporterait et reconstruirait ailleurs, c'était décidé.
Ce qu'on ne pourrait démonter ni transporter, c'était le "carré des légionnaires" quelques centaines de tombes dans le cimetière de Bel-Abbès.
On savait que serait exhumé et transporté en France le corps du Général Rollet, le "père de la Légion", mais plusieurs centaines d'exhumations, c'était impossible, il faudrait laisser là les morts. A ce sombre et proche avenir, la Légion s'efforçait de penser le moins possible.
Le miroir du corps de garde
Chaque fin d'après-midi, les permissionnaires du 1er Etranger se présentaient devant le sergent d'inspection selon le cérémonial immuable.
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*Ce miroir fut offert dans les années 30 par mon grand-père Maurice Debelle ancien légionnaire devenu miroitier à Oran. Engagé volontaire il fit carrière au 2° REI au Maroc, puis à Saïda, accéda à l'épaulette et termina Capitaine. Il était président de l'association des anciens légionnaires.A Bel-Abbès Notre père envoyait ses quatre fils chez le coiffeur du 1°RE au quartier Viénot. En franchissant le poste, mon plus jeune frère vérifiait à chaque passage si la signature du grand-père figurait toujours en bas du miroir (Souvenirs de Maurice Debelle)
L'adjudant-Chef Zoïs (mon voisin av du Général Rollet) futur propriétaire du bar de la Légion fut longtemps le responsable de l'entrée du quartier Viénot. Il devait coordonner les tours de garde, surveiller la propreté et l'ordre dans toute la caserne et même Avenue Rollet puisque les légionnaires punis de prison entretenaient les jardinières situées autour des platanes (plantations, arrosage, et peinture dès que nécessaire) Maître de cérémonie il était presque toujours présent pour présenter les honneurs de la garde lors de l'arrivée au quartier du Colonel Commandant la Légion. Lors des grandes prises d'armes je pense qu'il avait la responsabilité de faire marquer au sol des repères pour que chaque unité soit à sa place et dans un allignement parfait. Décoré de la tête aux pieds il était un peu la vitrine de la Légion pour les visiteurs. Après le Colonel c'était le personnage le plus important du Quartier Viénot. (Souvenirs d'André Amadeuf)
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Sur un mur du corps de garde était fixé un miroir de deux mètres de haut* : à côté de ce miroir, le sergent. Le légionnaire se mettait au garde-à-vous à dix pas devant le miroir, il examinait sa tenue. Puis il s'avançait vers le sergent, rectifiait sa position, tirait de sa poche la permission. Il la tendait d'un geste d'automate, le bras brusquement allongé en oblique. Le sergent examinait l'homme de bas en haut, vérifiant notamment que les plis réglementaires de la chemise étaient exactement marqués : deux plis verticaux de poches de la chemise jusqu'à la taille, plis en V sur les poches. La vie à Bel Abbès était un cauchemar de repassage. Un bâtiment entier toujours plein, était consacré à ce travail, chaque légionnaire possédant un fer électrique (acheté de ses deniers). Les chemises devaient être impeccables non seulement pour les sorties, mais aussi pour les revues, à peu près une revue par jour : or en Afrique, toute chemise portée une fois est bonne à laver.
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