Accueil / Index Ecritures / Index thématique / page précédente / page suivante / Ecrire à Raphael Soria
Raphael Soria : les Mouettes page 3/4
Souvenirs Bélabésiens
Illustration : baignade au crépuscule, peinture à l'huile , détail par Marius de Buzon, prix de la villa Abd-el-Tif en 1913, décédé à Alger en 1958, extrait de : Marion Vidal-Bué, l'Algérie des peintres 1830-1960
C’est une vision insolite, effarante, une image surréaliste qui nous frappe de plein fouet. Dans cette plage toujours déserte, sous ce cagnard abrutissant qui vous fait bouillir la cervelle, cela ressemble à s’y méprendre à une hallucination.
Et pourtant, elles sont là, ces femmes. Nous ne les rêvons pas. Les voilà qui avancent vers nous. Elles arrivent à notre hauteur, nous croisent comme si nous fussions transparents, et nous dépassent avec un mépris souverain. Elles font quelques mètres, s’arrêtent et, d’un geste bref, d’un incroyable naturel, laissent tomber leur haïk à leurs pieds, offrant à nos yeux ébahis la vision impudique et paradisiaque de leur nudité instantanément dévoilée.
A peine avons-nous pu entr’apercevoir leur délicieuse cambrure, leur abondante chevelure rougie au henné, leurs seins lourds, leur croupe rebondie et, comble de la stupéfaction, leur pubis dépourvu de toison, que déjà s’éloignent ces splendides naïades.
Superbement insoucieuses de notre présence, ces magnifiques odalisques se dirigent d’un pas tranquille vers leur bain, jouent à s’ébattre et à s’asperger d’eau en riant, plongent dans la vague et font quelques brasses vers le large.
Epoustouflés, Fernand et moi restons sans voix. Nous n’avons pas eu le temps de revenir de notre surprise que, de l’autre côté de la plage surgit, comme venu du néant, un groupe d’hommes vêtus de la djellaba. S’arrêtant à quelque distance de nous, ils se dénudent à leur tour et s’empressent de rejoindre les femmes qui les accueillent avec force rires joyeux et mille petits cris excités de plaisir. Et tout ce petit monde de se livrer sous notre regard soudain devenu voyeur à de plaisants divertissements aquatiques.
Nous restons là, interdits, pendant un long moment, sans savoir que faire, n’osant retourner à l’eau, n’osant partir, obligés que nous sommes d’attendre notre oncle en cet endroit.
Tournez la page