Mon regard se porte à nouveau sur cette vieille photo trouvée dans l’appartement inhabité. Le groupe fait face à Suzanne, l’opératrice, la seule de la famille à posséder en cette fin des années quarante le Kodak magique. L’oncle Raymond est assis et son bras gauche repose sur l’épaule du gamin de huit ans que je suis alors. Je l’aime bien l’oncle Raymond ; il est dans les Chemins de Fer et cela lui confère une considération que je mets sans cesse à profit en lui posant mille questions sur le pourquoi des choses. Il me répond « Eh bien…. » et se lance alors dans une explication qu’il ponctue de temps en temps d ‘un « Comprends-tu ? » qui me ravit. Cette inversion du sujet lui confère une auréole que je n’accorde guère aux autres membres de mon entourage : ils communiquent, eux, dans un français mâtiné d’espagnol, la langue de mes aïeux. Je retrouve avec émotion le visage rieur de mon père. Son aménité, ses bons mots, ses yeux gris-bleus aux longs cils en avaient troublé plus d’une ! La prude et rougissante Cécile fut
La ceinture souligne une taille qui a un peu perdu de sa sveltesse depuis la naissance de ma sœur. Cette dernière, casquette du grand-père juchée sur la tête, est bien trop occupée par le manège des bestioles pour regarder ailleurs que par terre. Le grand-père et la grand-mère complètent à droite le tableau passé à la postérité. Antonio est d’origine andalouse et son visage sévère, le seul à ne pas sourire, reflète un caractère rigide, pétri de principes que lui a légué la parentèle de la lointaine province espagnole. Mais la cheville ouvrière, c’est la grand-mère : dévouée corps et âme à son mari, elle est aussi experte à prévenir, à désamorcer les conflits, à minimiser les bévues des enfants sans remettre en cause le respect dû au père. Une sainte femme, vous dis-je, qui ne sait ni lire ni écrire mais dont la finesse d’esprit l’amènera toujours à préférer le compromis sans la compromission. Ils sont chez-eux, devant ce mur dont les traces de chaux révèlent qu’il a été blanchi, jadis, dans cette cour qui laisse apparaître au fond l’entassement des pierres de tuf. Antonio est charretier de son état et le transport de ces pierres assure la subsistance d’une famille condamnée à la frugalité.