Assis au bord de la rigole, bercés par la chanson de cette eau vive, les narines emplies de cette odeur de bonne terre arrosée, des senteurs de fruits et de fleurs, la tête pleine du souvenir des ancêtres, des larmes de Rosalie mais aussi des sourires si rassurants de Louis...Les yeux levés vers le ciel qui rejoignait le mont Tessala en prenant les teintes du soleil couchant, nous nous sentions comme ivres...
Mais aujourd'hui, je le sais, nous étions ivres de bonheur ! Ce n'est que quelques années plus tard que j'ai su...l'odeur des chrysanthèmes est différente de celle de la mort, parce qu'elle n'est qu'odeur et couleur...alors que celle de la mort est accompagnée d'un hurlement intérieur interminable que personne ne peut entendre...
Semblable à celui que j'ai poussé, pour la première fois de ma vie, quand Louis, mon pépé nous a quittés.
Claire Ecsedy : les Chrysanthèmes 5/5
extrait de son livre : la fille du légionnaire
Souvenirs de Sidi-bel-Abbes
Pour nous les enfants, c'était une prière émaillée d'images où nous essayions d'associer le souvenir de l'album de famille à ces noms gravés dans la pierre pour rester vivants très longtemps afin que Perpète soit toujours aussi belle et nos ancêtres toujours très contents de nous.
Plus tard, nous nous retrouvions dans la vallée des jardins, pour le repas familial, sous la tonnelle.
Mais avant, pendant que les adultes buvaient l'anisette en mangeant la kémia, nous étions investis d'une mission importante, celle d'ouvrir les vannes des canaux d'irrigation, nous libérions l'eau de la Mekerra avec des cris de joie ! Cette eau si précieuse, véhiculée par toutes les rigoles à travers le jardin, nous semblait magique puisqu'alliée à notre terre et aux bons soins de Rosalie. Elle était capable de contribuer à des prodiges...comme celui qui s'était réalisé sous forme de Chrysanthèmes.