Souvenirs de Sidi-bel-Abbes
André Amadeuf :
Méthode d'enseignement d'autrefois d'un instituteur atypique et exceptionnel 8/9
Je fus convié à me rapprocher du bureau ,ce que je fis en traînant les pieds. L'instituteur posa sa jambe de bois sur une table d'élève du premier rang, me fit coucher à plat ventre sur son pilon en me disant "acatche" (tous les anciens pratiquants du jeu TOCINO savent de quoi il s'agit). Il saisit de sa main gauche mes deux poignets qu'il tira vers le haut. J'étais coincé avec impossibilité de m'enfuir ou de protéger mon tendre postérieur avec mes mains.
De sa dextre il m'asséna une quantité considérable de coups d'une grosse règle noire en bois d'ébène dure comme du fer. Merlo eut droit cela va de soit au même traitement. Pas un cri, pas un pleur, juste une larme au coin de l'oeil. On est un homme ou on ne l'est pas ! Nous retournâmes à notre place dans un silence de cathédrale.
A midi, à la maison, alors que nous étions à table, ma Mère me demanda de m'asseoir correctement.
Je n'y arrivais pas ! et pour cause ! Après deux ou trois sollicitations de plus en plus impératives, je fus obligé d'expliquer le pourquoi de mon incapacité ! Je m'attendais au pire, allais-je prendre la seconde râclée de la journée !
Cependant, avant exécution, mon anatomie douloureuse fut examinée sur le champ, j'avais un cercle noir de dix centimètres de diamètre sur chaque fesse. Mes parents jugèrent qu'il n'était pas opportun d'en remettre une couche.
Portèrent-ils plainte ? Agressèrent-ils le maître fouettard ? Ecrivèrent-ils à l'Inspection Académique, aux journaux...? Non, ma Mère se contenta de m'accompagner à l'école à 14 heures et lui fit simplement remarquer qu'il avait eu la main trop lourde. Il en convint après avoir constaté de visu l'étendue des dégâts, navré d'être allé trop loin car c'était un brave homme. Plus aucun élève n'eut droit à une séance "d'acatche",mais l'affaire avait marqué toute la troupe et notre attention ne se relâcha plus.
Figurez-vous que pour "me venger et punir" l'enseignant, mes parents : pas rancuniers du tout, le convièrent quelques jour plus tard, le soir du 8 Mai 1945 avec mes cousins Bastié et Mademoiselle Dautrot la vieille et dévouée institutrice de mon petit cousin, au dîner où nous mangeâmes pour ainsi dire en famille, un coq énorme que nous avions engraissé amoureusement en prévision de la capitulation allemande !