Souvenirs de Sidi-bel-Abbès
Extraits de la Vie parisienne 1936, AMOURS de LEGIONNAIRES 17/18 par Michèle de Nicole

comme une fille de la campagne, j'avais à dire oui souvent. Alors, j'ai laissé les chapeaux. Je n'avais plus le temps. Très simplement, sans m'en apercevoir, je suis devenue ce que je suis. Vivant bien, vivant mal, ça dépendait des jours..., toujours éprise, amoureuse de l'amour. Ce sont les hommes qui ont commencé à me lasser..

A ce moment, on m'a parlé de la Légion, de Sidi-Bel-Abbès, J'ai eu envie de pays nouveaux, d'êtres nouveaux. Et maintenant, je resterai toute ma vie ici, je n'aurai jamais le courage d'aller ailleurs. — Mais, pourquoi ? Vois-tu, à Paris, à Montparnasse, à Montmartre, où je vivais, on finit par ne plus savoir ce que c'est que l'amour. On fait ça comme on se rince les doigts avec du citron après avoir mangé, c'est devenu un geste. Quelquefois, j'avais honte de moi. Je n étais rien. Je ne servais à rien...Et je n'aime pas les gens heureux, ceux qui font l'amour en riant... Ici, on redevient femme. Quand un homme me choisit, il a besoin de moi, de mon corps, de ma présence. On représente un idéal. Les hommes se souviennent de nous, reviennent, écrivent, car ils s'ttachent très fort. Il n'y a, pour aimer les filles, que les matelots et les soldats. Même si je mourais aujourd'hui, je resterais dans leur souvenir...

Ici, on a une personnalité, on console, on écoute... Il faut être plus qu'un corps docile. Il faut avoir un cœur. Mais on ne gâche rien de soi... Et l'amour, l'amour frénétique de celui qui est sevré de femmes, son adoration... Si tu savais ce que ça peut être. Nina s'était habillée tout en parlant. Nous parcourûmes ensemble le Village nègre. Désignant les femmes arabes qui pépiaient, s'interpellaient d'une porte à l'autre, elle me dit : — Elles aussi sont heureuses. La caste des prostituées est celle où l'on travaille le moins. Car elles n'appellent pas travailler ce qu'elles font... Une femme nous croisa. Elle était brune, coiffée avec des bandeaux, elle avançait toujours, avec un visage régulier et des yeux splendides. — Celle-ci, c'est une Espagnole, me confia Nina. Elle est venue, il y a deux ans, pour accompagner l'homme qu'elle aimait. Il est parti se battre. Il est mort.
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