Souvenirs de Sidi-bel-Abbès
Extraits de la Vie parisienne 1936, AMOURS de LEGIONNAIRES 16/18 par Michèle de Nicole

Le village nègre a perdu son enchantement nocturne. Les femmes passent, traînent leurs babouches, me saluant d'un geste rieur. C'est l'après-midi. Tout est propre, lavé. C'est ma dernière promenade. François est parti au Maroc... Je reviens ici parce que les dernières paroles du colonel m'ont frappée. Serais-je passée à côté de ces femmes sans bien les connaître ? Une porte est à demi-close. Je la pousse, en demandant : — On peut entrer ? — Pourquoi pas ? me répond une voix très douce. C'est une pièce plus coquette que les autres. Un lit de cuivre avec un couvre-pied virginal en tient presque toute la place.. Mais il y a des portraits aux murs, des châles et des tapis. — Tu m'excuseras, fait Nina, je finis ma toilette. Assieds-toi. Je la regarde. Elle a plus de trente ans, un corps un peu las, une chair délicate, laiteuse, des formes arrondies, délicieusement féminines. La question qui me brûle les lèvres m'échappe brusquement : — Nina, es-tu heureuse ici ? Elle pose sur moi un regard bleu, étonné.

Puis elle s'immobilise un instant, une serviette pressée sur son torse et dit enfin : — Mais, bien sûr. — Pourquoi ne m'as-tu pas répondu tout de suite ?— C'est que je me pose rarement des questions semblables. Maintenant que tu m'y fais penser, je peux te répondre « oui » sincèrement. — Et les autres femmes ? — Je n'en ai jamais connu qui ne se plaisaient pas à Sidi-Bel-Abbès. C'est un peu dur, certains soirs, mais on a des joies qu'on ne connaît pas ailleurs. — Pourquoi es-tu venue ici ? Elle hausse les épaules : — La vie, le hasard. Je ne l'ai pas fait exprès. Je me tais. Je voudrais en savoir plus. Heureusement, perdue dans le passé où ma question l'a fait glisser, elle parle, comme pour elle.— Il me semble que j'ai toujours aimé l'amour... J'avais à peine quinze ans la première fois quand, dans un champ, un gars de mon pays m'a appris le plaisir... Puis, je suis venue à Paris, en apprentissage chez une modiste. Il y avait trop d'occasions. Je ne savais pas dire non aux hommes. Et, comme j'étais aussi jolie qu'une autre et fraîche tournez la page

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