La petite ville de Sidi-bel-Abbès est agréable à regarder. Sous le ciel sans nuages, elle se révèle étonnamment propre, soignée. Les rues sont, dirait-on, balayées. Les bistrots et boutiques étalent leurs tentations. On ne voit pas de trafic automobile, sauf quelques autobus à gazogène, qui relient les villages environnants. On circule en fiacres, traînés par des canassons arabes, qui ont connu des moments plus glorieux, dans les escadrons de spahis, de légionnaires ou de chasseurs d'Afrique. La population paraît agréable, souriante. On semble aimer la Légion. Il s'agit, bien sûr, d'un sentiment à base largement commerciale, car la ville recueille une large part de ses revenus, des troupes en garnison. On voit des masses de fruits, de fleurs, de légumes, dans les échoppes, et le petit commerce s'affaire.Il y a aussi, et c'est réconfortant, beaucoup de jolies filles souriantes qui regardent passer Y. et son peloton.Le boulevard s'étend tout droit, ombragé par des palmiers. On passera fatalement devant la caserne du1er R.E.I. et le Musée de la Légion et son monument. En face, c'est l'entrée charretière du 1er R.E.C.,1er Escadron (....)
Pour les légionnaires, les seules rencontres possibles, platoniques ou non, avec l'élément féminin de la population, c'est le lupanar. Les liaisons sentimentales ne peuvent se concevoir que dans la clandestinité. Interdites par le règlement, elles ne trouvent guère d'échos dans la population civile, dans les contacts humains de tous les jours.Les bistrots, le commerce acceptent avec le sourire l'argent du légionnaire, mais à côté d'un certain romantisme, une forme de méfiance s'installe, qui le cloisonne et l'isole. Il ne viendrait à l'idée de personne, dans la population, d'inviter un légionnaire chez lui ni à sa table. Mais la vie n'a que faire de ces tabous imposés: les "jeunes légionnaires" étaient remarqués et malgré tout, menaient une vie sentimentale à peu près normale, dans la discrétion. (...) Aujourd'hui, c'est jour de prêt et de sortie. Ceux qui la désirent ont la permission de minuit. C'est le cas de Y.. C'est un mardi, jour de soirée hebdomadaire au cinéma local. (...) Le boulevard s'étire, tout droit, ombragé de palmiers et de bouquets floraux d'un bel effet. Il y a des consommateurs aux terrasses, des badauds, des promeneurs, des gens affairés et l'inévitable petit commerce indigène.