La gare de Sidi-bel-Abbès

D'une visite que je lui fis il y a dix ans, j'avais gardé le souvenir le plus délicieux et le plus attendri ; mais je ne supputais point, je l'avoue, que la courte halte prévue au programme dût être un des évènements de ce voyage, et je ne me proposais pas de vous en faire un long récit. cependant l'imprévu est, dans le périple que nous accomplissions, celle de toutes les prévisions qui déçoit le moins, et la grâce de Sidi-bel-Abbès, le goût des Bélabbésiens ont voulu que ces trois heures fussent pour nous le moment le plus charmant, le plus pimpant, le plus pittoresque de tous ceux que nous avons vécus depuis quatre jours.
Pourquoi ? Pourrai-je vous le dire ?...
Ce n'est pas seulement parce que Bel-Abbès est une ville jolie, parce que les décorations qui l'ornaient étaient heureusement combinées., -c'est surtout, je pense, parce que nous avons saisi ici mieux que partout ailleurs l'effort de l'homme contre les choses, la victoire de la civilisation sur la barbarie, le bienfait de la volonté, la souveraineté de la vie ordonnée et méthodique contre le désordre de la nature ; c'est aussi, je m'assure, que, sur notre route, sous le ciel poussiéreux, le long des maisons blanches et sur la terre battue des chemins, des flots d'Arabes pressés déferlaient jusqu'à nos voitures.
Ce n'est point la beauté, certes, ni l'enthousiasme qui ont, depuis mercredi manqué au passage du Président ; mais le pittoresque, hormis un ou deux moments trop rares comme celui qui nous fut donné hier aux courses d'Oran. Il fallait que notre imagination, à notre appel curieux, élaborât pour nous les visions d'Orient que, en vain, nous demandions au spectacle des choses, et ce que nous apercevions de l'Algérie nous donnait l'impression d'un prolongement de la métropole, bien plus que d'un Empire d'Afrique.

Le carrefour des quatre horloges au début du 20ème siècle

Aujourd'hui enfin, en regardant Bel-Abbès, j'ai retrouvé des visions toujours vivaces en moi après dix ans de regrets, et j'ai eu la sensation vigoureuse du charme, de la richesse savoureuse et de la beauté pittoresque de cette terre, car j'y voyais, mêlés en la foule fraternelle et joyeuse, les dépossédés et les possédants, mais ceux-ci dressant, du moins aux yeux de tous, l'image magnifique de ce que purent accomplir les intelligentes volontés, et ceux-là bienveillants à la conquète qui a fait plus riche leur sol.

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Visite du Président Emile Loubet
à Sidi-bel-Abbès
le 18 avril 1903
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