Le voyage du Président de la République à Sidi-bel-Abbès s(Le Figaro, dimanche 19 avril 1903 par dépèches de notre envoyé spécial Georges Bourdon)
L'aspect de la ville
Sidi-bel-Abbès, 18 avril.
Sidi-bel-Abbès est l'une des villes les plus anciennes de l'Algérie française ; je veux dire qu'elle est l'une des plus récentes du monde. Voici, en effet, l'un des plus saisissants chefs-d'œuvre du génie des hommes : ce sont les hommes qui l'a créèrent de toutes pièces ; c'est la volonté des hommes, qui, par un décret du 5 janvier 1849, décida d'y constituer un centre de population de 2000 à 3000 habitants, et jamais décision humaine ne sembla plus arbitraire et paradoxale. Sur quels territoires le décret de 1849 ordonnait-il soudain de porter la vie ? Sur des terres mortes et silencieuses, sur des broussailles où, en 1842, la hache des soldats du général Bedeau avait dessiné les limites d'un camp militaire, sur un sol chevelu et maussade que, depuis des siècles, les tribus des Arabes nomades avaient laissé inviolé et qui, pour unique témoin de la vie, montrait un monument funéraire, le blanc marabout connu sous le nom de Sidi-bel-Abbès.
C'est parmi ces broussailles que l'on résolut, en ce jour de janvier 1849, de jeter les fondements d'une ville. De vastes murailles en marquèrent l'enceinte ; deux lignes perpendiculaires en forme de croix en tracèrent les voies principales, et les maisons commencèrent de s'y édifier. D'abord confié à l'administration des militaires, le centre de population ainsi créé fut promu à l'état de commune en 1856, et constitué depuis cinquante ans, Sidi-bel-Abbès est devenu aujourd'hui l'une des villes les plus florissantes de la jeune Algérie.
Elle avait 14000 habitants en 1876 ; elle en a maintenant 26000. Déjà les remparts où l'on prétendit jadis borner son développement sont trop étroits : elle les déborde, elle emplit les campagnes par ses faubourgs ; elle produit les vins, les céréales, les grains ; elle est l'un des centres de production et l'un des marchés d'alfa les plus actifs de la colonie ; elle en est aussi une des grâces et ses jardins, ses arbres, ses boulevards, ses canaux d'irrigation, ses fleurs, lui font une ceinture de fraîcheur parfumée ; son jardin public est comme le cœur où souffle sa respiration. Voilà Bel-Abbès.