Aussitôt que l'heure me le permit, j'allai à la recherche du chef du génie ; c'est toujours à la porte de ces anciens camarades que j'allais frapper, et jamais leur complaisance et leur bonne volonté ne m'ont fait défaut ; toujours j'ai eu à vous raconter leur affectueux accueil. Celui de Sidi-bel-Abbès ne fut pas moins aimable pour un vieux colonel. Après une première causerie, il me montra la ville, me présenta au cercle des officiers, et il fut convenu que dans l'après-midi nous irions faire, en voiture, une promenade au-dehors.Il vint me prendre en effet vers trois heures, quand déjà le soleil avait perdu un peu de sa force, et tout en devisant, tout en parlant des intêrêts du corps que j'ai dû quitter, nous allions au travers de ces belles plaines, longeant les bords sinueux de l'Oued Mekerra ; de distance en distance nous voyions quelques fermes trop rares encore, et des moulins bien installés avec des maisons de maîtres et beaux jardins. Nous arrivâmes ainsi à un ancien télégraphe, situé naturellement sur une hauteur ; il était la raison d'être de quelques bâtiments organisés en poste défensif, en bordj. Aujourd'hui le télégraphe aérien est remplacé par les fils qui sillonnent le pays et que les arabes respectent ; mais il faut prévoir les mauvais jours, et si les fils étaient coupés, on serait heureux de trouver et de récupérer les anciens télégraphes. Du haut de celui-ci on jouit d'une belle vue sur la plaine et sur la ville d'abord, puis au loin sur des chaînes de montagne qui bornent l'horizon.
La soirée ne fut pas moins agréable que la journée ; la table hospitalière de mon camarade était dressée dans son jardin, et nous restâmes à causer jusqu'à onze heures du soir ; j'oubliais dans le charme de cette intimité amenée par la même carrière, par des connaissances communes, et aussi par l'éloignement de la France, que j'avais passé la nuit précédente en voiture et sans le moindre sommeil. Je dormis peu d'ailleurs ; toute la nuit j'entendis des hurlements désagréables ; ce n'était pas la voix des chiens arabes ; on me dit le lendemain que c'était celle du chacal, et que beaucoup de ces animaux parcouraient la ville pendant la nuit, facilitant, en véritables expurgateurs, le service de la voirie.
Ce matin le chef du génie vint encore me chercher pour me conduire à la gare du chemin de fer, qui est situé hors ville, et ce fut pour moi un vrai plaisir de serrer une dernière fois la main de cet excellent camarade dont je n'oublierai pas le bon accueil ; et me voici en route. Ce petit chemin de fer, qui va rejoindre la grande ligne d'Alger à Oran, appartient à une compagnie particulière. Je voyageais justement avec les ingénieurs de la compagnie, et ils ont bien voulu me donner sur elle quelques détails fort intéressants, relatifs à la grande quantité de marchandises qu'elle transporte : cela est bien le signe de la prospérité du pays de Sidi-bel-Abbès. Il serait question de prolonger la ligne jusqu'à Tlemcen, et peut-être aussi vers le sud en remontant du côté de Daïa.
Extrait de "l'Algérie vue à tire d'ailes ou lettres d'un oiseau de passage..."
de Alexandre-Félix Ratheau, 1879 2/2
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