La ville par la Légion est tracée au cordeau,
Les axes principaux desservent les villes
Et les villages, Mascara, Tlemcen, Bedeau,
Oran, bien sûr, nonchalante et tranquille

Quatre portes s'ouvrent, Côté Nord vers Oran
Porte Sud donnant sur les Monts de Daya
Côté Est sur Tlemcen, la ville du Coran
Et vers l'Ouest, Mascara et ses Médersas.

Nous sortons de la Ville, porte des Remparts
Au milieu des deux bornes balisant le porche,
Murs d'enceinte énormes, ne menant nulle part
Hautes muraille de pierre taillées dans la roche.

Elles entourent la Ville de leur masse rasurante,
Lui donnant l'air vieillot des temps moyenâgeux,
Mais sont, pour nous, cette présence puissante,
Qui attend nos ébats et protège nos jeux.

Nous jouons aux guerriers sur le chemin de ronde
Intrépides Kader, Isaac et Manuel,
Chevaliers à l'épée, à l'arc ou à la fronde,
Jouets par nous créés ou cadeaux de Noël.

Puis par des marches de pierre, nous descendons,
Dans ce jardin sauvage, devenu notre bien,
Que tous nous défondons avec amour, passion,
De notre amitié, ce jardin étant le lien.

Jardin fait de quelques fleurs, d'herbe folle, de ronce,
de papillons aux couleurs vives, de sauterelles
Bondissantes, de feuilles que le soleil fronce,
Ou la lumière crue, fait comme des étincelles.

Oui, ce jardin sauvage, était notre passion !
né aux pieds des remparts, tout au long du fossé,
que la Légion avait creusé, ayant pour mission
De protéger la ville de l'histoire du passé.

Tout au long des murailles dans la douve en hiver
S'amoncelaient l'eau sale, les gelées, la boue,
C'était pour nous l'époque, triste et sévère,
Nous ne pouvions jouer et nous étons à bout.

Ah ! il fallait voir notre joie quand le printemps
Revêtu à nouveau des tons de l'amitié,
nous incitait, heureux, à rattraper le temps
Des fausses bagarres et des fausses pitiés.

En culottes courtes, sans crainte des blessures,
Nous courions, fiers, courageux, parmi les chardons,
Foulant les fleurs sèches, bravant la nature,
Chantant nos ennemis ou accordant le pardon.

Nous, ces enfants que l'hiver avait enchaînés
Nous défoulions, ravis, au milieu de ces plantes,
Courant, vociférant, et toujours déchaînés.
Nos armes se sentaient libres, pures, brûlantes.

les jours passaient. La chaleur devenait lourde,
Douceur des verts du printemps, ultime caresse,
Se mourant dans la moiteur pesante et sourde
De cet été naissant, ignorant la tendresse.

Nos jeux changeaint alors. c'était l'aventure.
Tout le long du canal, courant sous les glacis,
Nous traquions les crapauds, grenouilles en rupture
D'époux. Nous les martyrisions, cruels, précis.

Nous n'avions pas d'excuses, conscients de faire le mal,
Nous nous amusions, et l'un entraînant l'autre,
Allions impatiemment. Tout paraissait normal
A ces jeunes enfants, parmi lesquels le vôtre.

Merveilleux jardin ! Il en a fait des miracles
Nous étions tour à tour, prince, roi, ou bandit.
Nos bouches parlaient, annonçaient des oracles,
Nous étions vérité. Nous nous sentions grandis.

Les jours se succédaient. Hier était le passé ;
Ne comptait pour nous que l'instant que nous vivions,
Heureux, fourbus, gais et pourtant harassés
Des fantastiques combats que nous livrions.

Le soir éreinté, propres, quand nous allions au lit,
Las, nos yeux fatigués se fermaient malgré nous
et notre cœur, de joie, de bonheur, se remplit.
Dieu nous protège. Fervents nous prions à genoux.

André Sananès : Sidi-bel-Abbès, les Jardins de mon Enfance

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Nous prions pour que demain ressemble à la veille
Pour revoir ceux que nous aimons, parents, amis
Pour écouter le chant du jour qui s'éveille,
Pour retrouver encore nos intimes ennemis.

Et nous avons grandi, de saison en saison,
Croyant oublier à jamais nos jeux puérils.
Nous devenions sérieux. En nous naissait la raison,
La vie nous attendait, nous cachant ses périls.

Les années ont passé. Pareils à des fleurs,
Nous avons tous vieilli, nous sous sommes fanés.
Et quand je fais l'appel, je verse des pleurs.
Beaucoup ont disparu. D'autres se sont damnés.

La vie pour nous tous n'a pas été facile
Un travail pénible, l'armée puis la guerre,
Ont été notre lot. Nous, enfants dociles,
Puisions l'amour, la force, dans nos jeux de naguère.

Nous avons aussi élevé une famille,
Tout au long de nos vies, sur elle avons veillé
Surveillant les garçons, conseillant la fille,
Devant leurs sourires, retions émerveillés.

Toute médaille, même d'or, a son revers.
D'année en année, de nos corps, la vie s'écoule.
Chaque anniversaire annonce un hiver.
Souvent, bien souvent notre moral s'écroule.

Merci aux amis de ma tendre jeunesse
De m'avoir procuré de si beaux souvenirs,
Sur vous et sur ma ville "Sidi-bel-Abbès" !
Ah ! si nous pouvions, en ce temps-là revenir !

Et à toi, si Beau Jardin de mon enfance
Sans pelouse, sans sapins, sans fleurs précieuses
C'est avec émotion, avec reconnaissance
Que je dédie ces rimes, naîves et audacieuses.

André Sananès
Nice 29/1/1989.

Extrait du journal Khemia en date du 20 mars 1991