Souvenirs de Sidi-bel-Abbes
Carnets d'un artilleur pied-noir engagé dans la campagne de Provence en 1944
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Mercredi 16 août 1944

Itinéraire : la Nartelle, Ste Maxime, Plan de la Tour, la Garde-Freinet, les Mayons.

Il est 11 heures et je suis en terre de France, entre Ste Maxime et Plan de la Tour. Hier, fête de Maman, j’ai pour la 1ère fois entendu la canonnade, la vraie, la guerre. Le matin, nous nous sommes éveillés en pleine mer et la matinée s’est écoulée sans histoire. Ce n’est qu’au début de l’après-midi, qu’à proximité de la côte, j’ai aperçu le plus grand rassemblement de navires de guerre et de transport de troupes que j’avais jamais vu. Depuis l’horizon à droite jusqu’à l’horizon à gauche, on voyait tout ce qui pouvait tenir sur mer depuis le gros cuirassé jusqu’à la jeep amphibie. Toute la mer en était couverte et, ce qui était remarquable c’était la parfaite tranquillité de tout ça qui évoluait sans paraître s’occuper de l’Allemand. Déjà à 11 heures, j’avais entendu le 1er bruit du canon, très sourd dans le lointain. A l’approche de la côte, on voyait les croiseurs et les cuirassés lacher leurs bordées et changer de place. Le ciel était couvert d’avions qui allaient et venaient sans inquiétudes et partaient larguer leur cargaison. Tard dans la soirée, on apprend un changement de programme : débarquement à Ste Maxime car St Raphael tenait encore. A 22 heures tout le monde était dans les cales et préparaient fièvreusement les véhicules. A 23 heures les premières voitures arrivaient sur la plage, sans même

entrer dans l’eau car on avait installé des pontons. A minuit zone de déwaterprofing jusqu’à 3 heures. je reste  1h en liaison près du Général Sudre. A 4h, départ pour rejoindre la zone de regroupement d’où j’écris à 11h. Ce matin, nouvelles imprécises : St Raphael et St Tropez seraient prises et les Allemands reculent rapidement : ils seraient à Vidauban. Aucune nouvelle du Muy. J’ai vu passer le premier convoi d’une cinquantaine de prisonniers. Les premiers civils rencontrés m’ont ému jusqu’aux larmes par leur chaleur. Ceux que je viens de voir regagnant leurs maisons m’ont plutôt déçu car ils paraissent manquer d’enthousiasme. je mets cela sur le compte de la surprise. Tout à l’heure, reprise de la marche en avant.

22h. Nous avons roulé une quarantaine de kms et traversé Plan de la Tour, la Garde-Freinet, les Mayons et nous sommes arrivés à 4kms de Gonfaron où, ce matin quelques Allemands résistaient  avec mortiers et mitrailleuses. Tout le long du chemin, la population était dehors nous acclamant. Nous avons serré des dizaines de mains et bavardé longuement, distribué bonbons et cigarettes comme les Américains en Algérie. Tout cela est reçu comme en novembre 42. Heureusement cela se passe entre Français et c’est moins triste. J’ai vu des résistants jeunes et pleins d’enthousiasme. Accident à la 3 : automoteur dans le ravin : 2 morts : Quilès, Jourdain, 2 blessés légers.