Tu as été pour nous, dans ta fraîcheur naïve
Ce qui fait espérer, ce qui fait croire en soi
Et tes doux yeux d'azur évoquaient une rive
Où nous serions plus grands, riche de ton émoi
Et tu restera jeune, car notre souvenir
Garde à jamais cet âge où tu nous a quitté
Puisqu'un destin jaloux t'empêcha de vieillir
Ne pouvant consentir à flétrir ta beauté
Ce que j'apporte ici n'est que de la souffrance
Simple comme une larme et comme tu l'étais
Lorsqu'on te regardait, blonde était l'espérance
Le ciel était plus bleu et, toi, tu l'ignorais
Ah ! elle est bien à nous cette terre algérienne
Où nous avons vieilli en un siècle d'efforts
Il fallait que la France, afin qu'elle fût sienne
Y coucha ses espoirs avec ses enfants morts
N'avons-nous donc plus rien dans le coeur et dans l'âme
Qui n'apportons ici que des faces de deuil
Qui tendons aux tueurs et d'enfants et de femmes
Une amicale main par-dessus un cercueil
Gouvernement de vieux achevant de pourrir
Assez de lâchetés vêtue en politique
Les Français, jusqu'ici, ont su vaincre ou mourir
O ! mon vieux coq Gaulois, réveille-toi et pique
Faut-il donc ménager des intérêts sordides
Compter nos alliés sur des besoins d'argent,
Avons-nous un drapeau plein de passés splendides
Pour en faire le linceul de filles de vingt ans
Où sont-ils donc tes morts, ô vieille République !
Gosses de Charleroi et poilus de Verdun
Et ceux qui, en sabots, ont, du bout de leur pique
Gardé nos libertés : Levez-vous les défunts !
Faut-il donc aujourd'hui que nous soyons des lâches
Honteux de notre coeur, chiches de notre sang
S'il faut, pour nous dicter la grandeur de nos tâches
Une fleur moissonnée, une tombe d'enfant.
Sidi-bel-Abbès, le 20 janvier 1958
René Martineu.