Ecritures de Sidi Bel Abbès
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Aux beaux jours nous aimions dîner dehors, devant la porte de la cuisine. Le repas s’achevait invariablement par un commentaire sur les qualités du melon : était-il bon, plus mûr que celui de la veille, moins parfumé peut-être Ces considérations vitales, on le sent bien, n’en soulignaient pas moins un alanguissement de la conversation, une aspiration au repos nocturne. Table débarrassée et rangée, plus rien ne s’opposait au dernier rituel ; on allait « prendre le frais» L’ étrange expression signifiait en réalité rester dehors, assis le long d’un mur qui généreusement renvoyait la chaleur emmagasinée dans la journée.
Dans l’obscurité pour éviter les moustiques, c’était à peine si le brasillement d’une cigarette trahissait la présence des fumeurs. Les plus diserts se hasardaient à échanger de rares

paroles à voix basse, laissant le champ libre aux stridulations des grillons. Des fagots de branches de pin entassés près du four s’échappaient des senteurs aromatiques de maquis. L’attente pouvait durer quelques dizaines de minutes avant que les adultes, convaincus de la vanité de leur espoir, ne consentissent à aller au lit.
Je les vivais, moi, comme des instants privilégiés, allongé sur ma couverture à même le sol, yeux rivés sur l’insondable infini qui déployait ses guirlandes scintillantes. « Il faudra que je demande à papa pourquoi les étoiles clignotent ; s’il ne sait pas, il pourra regarder à la bibliothèque de la Coopérative » L’intensité de mes réflexions induisait une excitation métaphysique dont, me disais-je, il faudrait me souvenir plus tard. C’est fait.

Jean-Pierre Covès : prendre le frais