Lucien Hernandez :
Monsieur Bounneau
Souvenirs de Sidi-bel-Abbes
Le 1° octobre 1937 je franchissais le seuil de la classe de Mr Bounneau qui enseignait à l’école Eugène Etienne au Mamelon. Ce fut mon premier instituteur. En effet, jusque-là je n’avais eu à faire qu’à des institutrices. D’après les « grands » qui nous précédaient, il avait la réputation d’extrême sévérité. Aussi, c’est avec un certain désarroi que j’attendais cette journée. Je compris très vite que si cet enseignant était très rigoureux il n’en été pas moins pourvu d’une grande gentillesse. J’appréciai très vite ces qualités pédagogiques. La journée commençait rituellement par la leçon de morale. Puis très vite nous abordions des matières beaucoup plus ardues. Les qualités pédagogiques de Mr Bounneau nous permettaient de comprendre très vite les matières qu’il nous enseignait. Je commenterais quelques souvenirs qui reviennent pêle-mêle à mon esprit : - Les jours de grands froid, lorsque la gelée blanche avait recouvert SBA et sa région, afin de réchauffer nos doigts gourds, par un mouvement de va et vient, nous tournions nos règles entre les mains ce qui avait pour effet d’activer la circulation sanguine. Au bout d’une minute, nous étions prêts à nous servir de notre porte-plume…..que nous avions trempé dans « très peu d’encre » car, Mr Bounneau, soucieux de nous faire éviter les pâtés nous conseillait de mettre très peu d’encre dans nos encriers en porcelaine blanche que nous alimentions à tour de rôle tous les matins.C’était aussi la première fois que nous servions « le cahier de roulement » que notre maître remettait chaque matin tour à tour à chacun de ses élèves afin qu’ils l’utilisent comme « cahier de classe ».
Ce document permettait à l’inspecteur de juger rapidement le niveau de la classe. Aussi nous mettions tout notre cœur à nous appliquer. - Autre souvenir : au cours d’une explication de « leçon de chose », Mr Bounneau voulant démontrer que les olives donnaient de l’huile, mit tant d’ardeur à écraser une olive noire bien mure contre le tableau qu’une longue trace indélébile s’y incrusta jusqu’à la fin de l’année scolaire…. C’était un instituteur comme on n’en voit plus de nos jours. Toujours tiré à quatre épingles, il portait parfois, raffinement extrême, des guêtres claires toujours immaculées… Son épouse enseignait à l’école de filles Eugène-Etienne. Ils habitaient rue du Parc, non loin du bas de la rue La Fontaine, en face le jardin d’Icare. Ils eurent la douleur de perdre leur premier enfant, Georges, qui était inhumé tout près de la tombe de mes grands-parents paternels à SBA. Je crois savoir qu’ils étaient originaires des Pyrénées, en plein pays d’Ovalie. Mr Bounneau aimait le sport. Quelle ne fut pas ma surprise de le voir au bord du terrain lors de mon premier match de basket au stade Cénac ! Puis, il devint très vite un de nos plus fidèles supporters… Au début des années 50, alors que, venant du Maroc j’étais en congé à SBA, il me croisa sur le boulevard au niveau de chez Hérard. Avant même que j’aie eu le temps de le saluer, il vint vers moi en disant : « Oh Hernandez, tu es beau comme un astre, qu’est-ce que tu deviens ? » Ce fut le début d’une longue conversation à brule pourpoint. C’est là mon plus beau souvenir….