Souvenirs de Sidi Bel Abbes
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Elles étaient pareilles à ces fleurs qui s’agitent à la belle saison au milieu des blés verts quand souffle le vent et que le champ tout entier semble s’en aller ondoyant par vagues successives. Perdues dans la foule protectrice et enveloppante comme ces fleurs dans la multitude des épis,  elles allaient, belles dans leur robe légère, virevoltantes dans leurs souliers plats, brunes piquantes au regard de braise, blondes vénusiennes aux yeux pâles, rousses au teint laiteux piqueté de taches orange, marron, avec toujours cette petite lueur amusée, insouciante, provocatrice ; elles allaient fraîches, pimpantes, bras dessus, bras dessous, corolles de fleurs multicolores, en bouquets éparpillés tout au long des boulevards, ayant patiemment écouté les nombreuses mises en garde, choisi avec soin leur plus jolie robe, leur plus belle toilette, un soupçon de parfum, un soupçon de rouge à lèvres, une trace de fard à paupières peut-être ? Leurs attitudes étaient faites de minauderies,  regards amusés, pétillants de malice, rires étouffés, effronterie passagère puis superbe indifférence.
Leurs incessants allers et retours, étaient, pour les plus audacieuses, l’occasion d’invites furtives et passagères ; d’autres se réfugiaient dans l’esquisse d’un sourire, le regard vite voilé par les paupières timidement baissées comme pour excuser cette trop grande liberté. Ce jeu se renouvelait à chaque passage, inlassable ; elles répondaient aux quelques lazzis, timides avances,  en se parant aussitôt d’une dignité offensée ; un peu plus loin, elles laissaient leurs rires perlés fuser qui allaient s’égrenant en un léger gazouillis, échangeaient à petits mots entre elles de secrètes confidences qu’elles se renvoyaient, tête penchée et complice, de l’une à l’autre. Leur imagination romanesque comblait leurs attentes ; elles s’en iraient bientôt, retourneraient dans le giron familial protecteur, avec en mémoire ce bref et court instant où deux regards s’étaient croisés, abandonnant là, sur le bord des trottoirs, les «Don Juan» gominés tout à coup désoeuvrés. Demain, au détour d’une rue, esseulées, elles vous croiseront, d’un pas pressé et affairé, elles glisseront un rapide regard derrière de longs cils et passeront fières sans le moindre signe d’intérêt : une autre fois, peut-être iront-elles jusqu’à accepter deux, trois mots, quelques mètres ensemble : le début d’une longue route.
Bélabésiennes par Georges Winum